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8 oct. 2014

Non à l'Initiative sur l'or

Paru dans La Liberté, 8 novembre 2014
Sauvez l'or de la Suisse, ainsi s'intitule la dernière initiative de l'UDC. Notre or est donc en danger. Chaque citoyen votant pour ce texte pourra se considérer comme un preux chevalier, se battant au travers de son vote dans le but de reprendre ce précieux trésor des griffes de l'ennemi. Derrière ce titre aguicheur se cache toutefois un texte qui pose plusieurs problèmes. L'initiative veut rendre l'or de la Banque  nationale suisse (BNS) inaliénable. Quelle est la valeur d'un actif qu'on ne peut pas vendre ? Les initiants ont-ils aussi oublié que cela fait plus de 40 ans que l'or ne joue plus un rôle majeur en politique monétaire ? 

Une fois n'est pas coutume, l'initiative est rédigée en termes simples. Elle pose trois principes contenus dans un nouvel article de la Constitution fédérale (art. 99a) :

Art. 99a (nouveau) Réserves d’or de la Banque nationale suisse
1. Les réserves d’or de la Banque nationale suisse sont inaliénables.
2. Elles doivent être stockées en Suisse.
3. La Banque nationale suisse doit détenir une part importante de ses actifs en or. La part de l’or ne doit pas être inférieure à 20 %.

Tout notre or en Suisse !

Commençons par la question du stockage, sans doute la plus anecdotique mais qui, venant de l’UDC, n’étonne guère : (al. 2) Elles [les réserves d’or de la BNS] doivent être stockées en Suisse. Voici le raisonnement des initiants: 

Yves Nidegger (UDC) au Conseil national, le 5 mai 2014: "Déposer notre or chez l'ennemi (il parlait des Etats-Unis) n'est pas forcément de la plus grande intelligence. C'est la raison pour laquelle une partie de l'initiative, qui prévoit le rapatriement de l'or en Suisse, mérite que l'on soutienne ce texte".

Aujourd'hui, 30% des 1040 tonnes d'or suisse sont stockés à l'étranger, à raison de 20% en Angleterre et 10% au Canada. Contrairement à ce qu'affirmaient les initiants, il n'y a pas d'or suisse dans la zone euro ou aux Etats-Unis (l'axe du mal selon l'UDC). Un principe commun en gestion veut qu’on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier. Par analogie, pour des raisons de sécurité, on ne met pas tout son or au même endroit. Imaginons une situation de crise qui nécessite la vente rapide d'or: dans un tel cas, un accès rapide à d'autres places boursières est un avantage certain !

Une politique monétaire d'un autre temps

Les deux autres principes posés par les initiants sont bien plus problématiques : (al. 1) Les réserves d’or de la Banque nationale suisse sont inaliénables. (al. 3) La Banque nationale suisse doit détenir une part importante de ses actifs en or. La part de l’or ne doit pas être inférieure à 20 %.

Fin 2013, l'or représentait 7,3% des actifs de la BNS. Cela correspondait à 1040 tonnes d'or. L'Allemagne en possède 3391 tonnes,  la France 2435 tonnes et l'Italie 2452 tonnes. Nos réserves d'or sont donc substantielles, puisque, en comparaison internationale, nous sommes parmi les pays dont la banque centrale possède le plus grand nombre de grammes d'or par habitant. 

Pour arriver à 20% du bilan, il aurait fallu acheter pour plus de 60 milliards de francs d'or (valeur 2013), qui seraient par la suite inaliénable. Cette double exigence nuirait clairement à la crédibilité de notre banque nationale, l'or n'occupant plus une place déterminante dans la politique monétaire depuis l’abandon de l’étalon-or puis l’effondrement du système monétaire de Bretton Woods dans les années 1970. Nous utilisons maintenant un système de monnaies fiduciaires, dont la valeur est déterminée librement par les banques centrales. 

Ces dernières années, notre banque centrale, la BNS, a agit pour le bien de notre pays. Afin de protéger notre économie, elle a utilisé les instruments de politique monétaire à  sa disposition. Ainsi, elle a régulièrement dû pratiquer une expansion de son bilan (achat d'actif), puis une réduction (vente d'actif), stabilisant ainsi le Franc suisse (depuis l’éclatement de la crise en 2008, la BNS a étendu son bilan). Le taux plancher du Franc suisse face à l'euro, qui tient depuis son instauration en 2011, est le plus notable exemple d'une politique monétaire dans l'intérêt de la Suisse. Avec les cautèles qu'introduiraient l'initiative, la BNS n'aurait simplement plus les moyens de mener cette politique monétaire. On peut donc craindre une forte appréciation du Franc suisse en cas d'acceptation de l'initiative, avec tous les risques que cela comporte pour nos exportations.

Une telle initiative, qui n'est même pas soutenue par la majorité des élus fédéraux du parti l'ayant lancée, est nuisible. Que certains soient nostalgiques de la convertibilité or des monnaies est compréhensible. Que d'autres trouvent que les banques centrales ont trop de pouvoir l'est aussi. Néanmoins, ce texte ne rétablit pas la convertibilité or et ne diminuera le pouvoir que d'une seule banque centrale, la notre. Il est donc impératif de refuser massivement cette initiative. 



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